Formé à la dure école de l’orchestre du Dancing des Champs Elysées, des Collégiens ou des bals pour soirées du XVIème arrondissement, Sacha a toujours aimé la scène. Seul, avec guitare ou sans, en groupe, en grand orchestre ou pour une comédie musicale, il n’hésitait guère à brûler les planches dès qu’il en avait l’occasion. Y compris pour la Reine d’Angleterre !
« J’ai cinq ou six ans. Nous roulons vers le magasin de luminaire de mes parents. (…) La puce Lumineuse. Il fait encore nuit. Mon père gare la voiture puis monte le grand rideau de fer. (…) Maman et moi restons sur le seuil. Elle pose ses mains sur mes épaules et se penche vers mon oreille pour murmurer : « Regarde bien mon Sacha, regarde de tous tes yeux. » Soudain des dizaines de lampes, de lustres, d’appliques s’allument. Je cligne des paupières. D’un geste, papa a connecté l’alimentation d’une grande partie du magasin. Je suis aveuglé par la lumière. Pourtant je m’avance. Derrière moi, le noir, la ville, les Puces qui commencent à s’activer n’existent plus. (…) Mes yeux fixent les mille feux qui m’éblouissent. Les mains de Maman sont toujours posées sur mes épaules : « C’est magique, tu ne trouves pas Sachinka ? »
Lumière / scène… Scène / lumière…. La scène… Ce sera finalement l’amour de sa vie. D’ailleurs, depuis les Noise Makers du lycée Claude Bernard jusqu’au musical Chicago (en 2001) où il reprendra avec succès le rôle masculin principal, en passant par les clubs de jazz, la scène, Sacha ne l’a jamais quittée. Il n’a jamais oublié non plus que c’est face à une scène qu’il connut ses premiers vrais émois de mélomane : 1948, à l’instigation de Ray Ventura et de Bruno Coquatrix, c’est à l’Alhambra qu’il découvre le jazz de Dizzy Gillespie. La claque ! A jamais gravée dans la chambre noire de sa mémoire : ce jour-là, Sacha comprend que c’est sur scène, et uniquement sur scène, que naît le frisson. Que c’est à cet endroit qu’un artiste acquiert, ou non, ses lettres de noblesse, sa crédibilité. Son honneur. Dix ans plus tard, décembre 1958, c’est sur scène, à Alger, que, dans l’urgence, les « Scoubidous » (et par la même occasion le succès) vont naitre.
A partir de ce moment, tout ira très vite pour Sacha, et les années passées à jouer dans les clubs de jazz serviront à la vedette qu’il devient instantanément. Artistiquement et scéniquement inspiré par la classe de certains membres du fameux ‘Rat Pack’ tels que Dean Martin, Sacha ne se départira jamais de sa légendaire élégance, d’un incroyable sens de la réplique qui ‘fait mouche’ et de cet humour, qui, de cimes en vallées aura toujours fait la différence. En France, outre le Saint Germain jazzeux et enfumé, c’est la salle de Coquatrix qui sera le point de départ de presque tout. Dès le début de sa carrière, a chaque rentrée, Sacha alignera d’imposantes séries d’Olympia. Son « warm up » à lui…
A Londres, sa deuxième patrie, il sera souvent sur la scène du Talk Of The Town où du London Palladium. Parfois même, comme en 1968 ou en 1971, à la demande de la Reine d’Angleterre (elle-même !) qui apprécie particulièrement la voix et le sourire de ce singing Frenchman. Quincy Jones, Tony Bennet, Dionne Warwick, Antonio Carlos Jobim, Baden Powel, les Collégiens (bien sûr !) Al Jarreau, Tina Turner, mais aussi Johnny, Brassens, Salvador, Bardot, Adamo… Tous ont un jour, sur une scène, croisé le micro de Sacha.
Même « Ma Pomme », c’est dire ! « Ma Pomme », parlons-en de celui-ci : Maurice Chevalier, lui-même, ne s’y trompera pas quand il reconnaîtra en Sacha, une sorte de fils spirituel auquel il aurait aimé qu’Hollywood confiât son propre rôle dans un éventuel film sur sa vie. Le sujet fut soulevé, Sacha aurait adoré et puis… La vie est passée.
« Combien de fois ai-je vu le rideau s’ouvrir et les projecteurs s’allumer devant moi ? Un jour, j’ai tenté le calcul. Le total doit se situer entre cinq et six mille. Impossible de préciser. Aucune importance, seul compte le trou noir du public, les musiciens que je sens tous prêts, derrière moi, à quelques mètres, l’attaque de l’orchestre, la première chanson qui coule comme un rêve puis les jambes en coton, la conscience brutale de l’endroit ou je suis, de vous qui êtes devant moi et dont je ne distingue que quelques visages.
Applaudissements. Un coup d’œil à mon chef d’orchestre et on enchaîne. (…) Je chante pour chacun de vous que je ne vois pas et que pourtant je regarde. »
(Sacha Distel : "Profession Musicien" - 2004 Aux Éditions de La Martinière)
Eric Jean Jean