Admirablement « coaché » à Paris par un Henri Salvador au goût très sûr pour les mélodies suaves et les rythmes enjôleurs, Sacha va aussi avoir le privilège de découvrir tôt et « sur place » la musique noire dite « de charme ». Il a à peine 19 ans lorsque Ray Ventura l’expédie à New York en 1952 apprendre l’anglais et le métier d’éditeur. Inestimable service. Pêle-mêle Sacha découvre l’amour, le be-bop, l’Amérique et aussi des chansons d’amour pénétrantes susurrées par des types à la voix d’or nommés Sinatra, Nat King Cole ou Tony Bennett. Au milieu des années cinquante, Sacha Distel revient des USA avec des rêves plein la tête, des idées plein les poches et un style qui lui convient bien : Crooner.
C’est finalement dans les années soixante, une fois passée la déferlante yéyés que Sacha s’autorisera vraiment à jouer de sa voix de velours. Et aussi à être vraiment lui-même. En même temps qu’il impose sa vraie personnalité, celle que le public lui connaîtra pendant quarante ans, faite de sourire, d’élégance, de charme, de séduction, Sacha impose l’artiste qui sommeille en lui et qui s’est nourri d’un tas d’influences différentes. Son talent va consister à faire passer toute cette palette d’émotions variées par un canal unique : la voix. Comme Sinatra, comme Tony Bennett, mais à sa façon.
En France, sur ce terrain-là, il sera le seul, il sera l’unique ou quasiment. La décontraction feinte avec « Toute la pluie tombe sur moi » ou la grâce d’un hédonisme habité avec « La belle vie » vont constituer les points d’encrage d’un style racé mais populaire, savant mais chaleureux, profond bien qu’empreint de frivolité. Au total infiniment plus complexe qu’il n’y paraît mais dans lequel un public va se reconnaître. Nœud pap’, smoking cintré, souliers vernis : le désespoir requiert de l’élégance, Sacha le sait mieux que quiconque. Aussi, par respect du public, par respect du métier, il va s’appliquer.
Fils de l'après-guerre, Sacha est aussi héritier des riches heures du Quintette du Hot Club de France de Stéphane Grappelli comme de la période zazou. A sa façon, s'il représente un existentialisme frénétique (Saint-Tropez, Bardot, le Jazz, Greco…), il se révèle aussi très sensible aux échos du passé (le music hall, Chevalier, Jean Sablon). Dans le « croon » de Sacha, il y a tout cela. Et plus encore : l’âme juive, l’ascendance slave, l’incertitude de la vie, l’épreuve mais aussi la confiance qu’il faut garder et l’humeur qu’il faut avoir légère. Sacha saura faire passer dans sa voix le désir et la volupté, la tendresse et la chaleur, la caresse et l’élégance d’un incommensurable appétit de vivre.
Ce n’est pas pour rien que les Anglais qui s’y connaissent en show business, le nommeront « Sacha Sunny Voice ». « The Good Life » quant à elle a été reprise plus de quatre cents fois depuis sa création. Plus qu’un engouement, un brevet.
Eric Jean Jean